Auteur/autrice : FILIPPO STOPPELE

  • La Fiera dei Bogoni durant la Seconde Guerre mondiale

    La petite localité de Sant’Andrea di Badia Calavena cultive depuis près d’un millénaire une tradition aussi singulière qu’attachante : la Fiera dei Bogoni, littéralement « la foire des escargots ».

    Des origines médiévales

    Dès le XIᵉ siècle, le 30 novembre, jour de la fête patronale de Sant’ Andrea, le village accueillait un grand marché de bétail. On y échangeait non seulement des animaux de ferme – volailles, lapins ou bovins – mais aussi des vêtements, des céréales et des denrées alimentaires. Au fil du temps, un produit inattendu s’est imposé dans les étals : les bogoni, nom donné en dialecte véronais aux escargots, très prisés pour leur chair.

    Si le marché du bétail fut par la suite déplacé à Badia Calavena, la foire des escargots, elle, demeura à Sant’Andrea. Ce choix a façonné l’identité du village, transformant l’événement en véritable fête populaire où gastronomie, culture et convivialité se rencontrent.

    Une manifestation devenue emblématique

    Aujourd’hui encore, la Fiera dei Bogoni constitue l’un des rendez-vous les plus attendus de la région. Bien au-delà d’un simple marché, elle est devenue la vitrine du terroir local, attirant visiteurs, gourmands et curieux. On y déguste les fameuses préparations à base d’escargots, mais aussi d’autres spécialités de la Lessinia. Les stands de produits artisanaux et agricoles rappellent l’ancien rôle commercial de la foire, tout en lui donnant une dimension festive et touristique.

    Un patrimoine qui se lit sur les murs

    À la Libération, la Fiera dei Bogoni a repris son souffle. Elle est redevenue progressivement la grande fête de village que l’on connaît aujourd’hui, bénéficiant d’un nouvel élan identitaire et patrimonial.

    Sant’Andrea ne se résume pas à sa foire : le village conserve un riche patrimoine artistique. Plusieurs maisons arborent encore de magnifiques pintures murales et cadrans solaires, dont certains datent des XVIᵉ au XVIIIᵉ siècles. Ces fresques colorées, souvent naïves et poétiques, racontent à leur manière le passage du temps et l’histoire locale.

    Le bogone, symbole identitaire

    À l’entrée du village, un monument insolite attire le regard : une sculpture monumentale d’escargot, hommage à l’animal devenu emblème de Sant’Andrea. Bien plus qu’un clin d’œil humoristique, il incarne la mémoire collective et l’attachement des habitants à une tradition unique en Italie.


    Entre patrimoine, gastronomie et convivialité, Sant’Andrea a su transformer une coutume médiévale en fête identitaire et fédératrice. Chaque année, la Fiera dei Bogoni fait revivre l’âme du village, rappelant que les traditions les plus singulières sont souvent les plus vivantes.

    Comme beaucoup de fêtes populaires italiennes, la Fiera dei Bogoni a été profondément affectée par les années 1940. L’Italie était plongée dans le conflit, et la vie quotidienne des habitants de la Lessinia – dont Sant’Andrea di Badia Calavena – était marquée par la pauvreté, les restrictions alimentaires et le climat de peur instauré par le régime fasciste puis par l’occupation allemande.

    À la Libération, la Fiera dei Bogoni a repris son souffle. Elle est redevenue progressivement la grande fête de village que l’on connaît aujourd’hui, bénéficiant d’un nouvel élan identitaire et patrimonial. Le fait qu’elle ait survécu, même sous une forme réduite, pendant la guerre, a contribué à renforcer sa valeur symbolique pour les habitants.

  • Le martyre de Palmino et Silvino Stoppele

    Le 12 septembre 1944, à l’aube, la petite localité de Sant’Andrea di Badia Calavena fut frappée par l’une des opérations les plus brutales de la répression nazifasciste. Dans le cadre de l’« Operazione Timpano », conçue pour anéantir la division partigiane Pasubio commandée par Giuseppe Marozin, dit Vero, les SS et les Brigate Nere s’acharnèrent sur la famille Stoppele.

    Ce jour-là, Palmino Stoppele, propriétaire de la locanda La Colomba, et son fils Silvino, étudiant en médecine à Padova, furent arrêtés chez eux.

    Palmino e Silvino Stoppele de Sant'Andrea di Badia Calavena.

    Mais cette absence de preuves ne pesa pas face à la logique implacable de la terreur. Les deux hommes furent emmenés et, après quatre jours de tortures, exécutés froidement. L

    Aujourd’hui encore, le souvenir de Palmino et Silvino Stoppele reste indissociable de celui de ces années sombres, marquées par la violence des rafles et par le courage de ceux qui, malgré la peur, choisirent d’aider les combattants de la liberté.

  • Sant’Andrea, 12 septembre 1944 : la tragédie de la famille Stoppele et le destin de Maria.

    Dans leur auberge, La Colomba, la famille Stoppele accueillait sans distinction fascistes, partisans et même parachutistes anglais en fuite. Ce fragile équilibre prit fin dans le sang le 12 septembre 1944, lorsque des SS venus de Brescia, appuyés par une colonne fasciste de Vérone, menèrent une vaste rafle. Ce jour-là, non seulement la famille Stoppele fut frappée de plein fouet, mais aussi tout le village de Sant’Andrea di Badia Calavena.

    Le contexte explosif de la Résistance

    Dans les mois précédents, les attaques répétées de la Division Pasubio, sous les ordres du commandant Giuseppe Marozin, dit Vero, avaient contribué à tendre la situation. Originaire d’Arzignano, Marozin était un chef controversé, soupçonné par le Comité de libération nationale de Vicence d’insubordination et critiqué par la Résistance véronaise pour ses méthodes brutales et autoritaires. Ses actions visaient parfois davantage à régler des comptes personnels qu’à combattre pour la démocratie.

    Photo Eglise de Sant'Andrea di Badia Calavena - Crédit Photo : Filippo Stoppele.

    Maria, de la douleur à la lutte

    Parmi les victimes indirectes de cette répression, Maria Stoppele, alors âgée d’une vingtaine d’années, vit son père et son frère assassinés. Ce drame la poussa à s’engager plus résolument dans la Résistance. Sous le nom de guerre Kira, elle rejoignit la bande de Marozin et le suivit ensuite jusqu’à Milan, lorsque la situation en Lessinia devint trop dangereuse pour elle.

    Selon ses propres récits, Maria aurait fait partie du groupe partisan qui captura Mussolini à Dongo, lors de sa tentative de fuite vers la Suisse. Elle affirma avoir eu la charge de surveiller Claretta Petacci, compagne du dictateur. Elle raconta plus tard que Petacci ne devait pas être exécutée, mais qu’elle fut tuée dans la confusion, s’étant jetée au cou du Duce au moment de l’exécution. Maria ajoutait que ce fut elle qui recomposa le corps de Petacci, exposé à Milan, piazzale Loreto.

    Une famille marquée par le courage et le sacrifice

    Après la guerre, Maria épousa le partisan Antenore Antemi, dit Tenore, originaire de San Bortolo. L’histoire de la famille Stoppele est restée gravée dans la mémoire collective :

    • Maria reçut la médaille d’argent pour sa participation active à la lutte de libération.
    • Son frère Rino fut décoré de la médaille d’argent pour ses faits d’armes à El Alamein.
    • Le père et l’autre frère, Silvino, tombés sous la violence de la répression nazi-fasciste, furent décorés de la médaille de bronze à titre posthume.

    Quatre médailles, quatre destins brisés ou marqués à jamais par la guerre.

  • Badia Calavena en 1944 : entre tourmente et beauté

    Badia Calavena en 1944 : entre tourmente et beauté

    Au cœur des Monts Lessini, non loin de Vérone, le village de Badia Calavena s’étend dans une vallée verdoyante, entouré de collines où alternent prairies, forêts et cultures en terrasse. Son nom vient de l’ancienne abbaye bénédictine, fondée au Moyen Âge, qui fut durant des siècles un centre spirituel et agricole de la région.

    En 1944, pourtant, ce décor paisible est bouleversé par la guerre. Comme dans de nombreux villages du nord de l’Italie, l’occupation allemande et la République de Salò pèsent lourdement sur la vie quotidienne. La population vit sous surveillance, avec la peur des dénonciations, des rafles et des réquisitions.


    La vie quotidienne sous le fascisme et l’occupation

    Les habitants de Badia Calavena, en majorité paysans et artisans, poursuivent tant bien que mal leurs activités. Les champs doivent être cultivés, les animaux nourris, malgré les pénuries et les prélèvements forcés. Le marché local, autrefois lieu de convivialité, devient un espace marqué par la méfiance et le manque.

    Pourtant, la solidarité continue de circuler dans les ruelles pavées du village. Les familles s’entraident, partagent le peu qu’elles possèdent, cachent parfois des fugitifs ou des résistants. Dans ce paysage rural, les montagnes offrent refuge à certains partisans qui s’opposent au régime.


    Les Monts Lessini, un refuge naturel

    La géographie de Badia Calavena joue un rôle essentiel durant cette période. Les Monti Lessini, avec leurs forêts denses, leurs grottes calcaires et leurs sentiers escarpés, deviennent un abri pour les résistants italiens, mais aussi un lieu de passage discret pour ceux qui tentent d’échapper aux contrôles.

    Ces paysages, d’une beauté sauvage, contrastent avec la violence de l’époque. Tandis que les canons résonnent parfois au loin, les prairies fleuries, les oliveraies et les clochers de pierre rappellent aux habitants la force tranquille de leur terre ancestrale.


    Mémoire et héritage

    Aujourd’hui, Badia Calavena garde les traces de cette époque douloureuse. Des plaques commémoratives et des témoignages oraux rappellent le courage de ceux qui ont résisté, souvent dans l’ombre.

    Mais le village reste aussi un lieu de sérénité : ses paysages intacts, ses traditions culinaires (comme le fromage Monte Veronese ou la polenta locale) et ses fêtes populaires rappellent qu’en dépit des épreuves, la vie a toujours repris ses droits.


    Badia Calavena, entre mémoire et beauté

    Évoquer Badia Calavena en 1944, c’est raconter à la fois la douleur d’un peuple marqué par la guerre et la beauté d’une terre capable de traverser les siècles. C’est un lieu où l’Histoire s’entrelace avec la nature, où les pierres des maisons gardent le souvenir des épreuves, mais aussi l’espoir de la liberté retrouvée.